L’illusion de savoir quoi lâcher
Le « lâcher prise » fait partie de ces mots au sens vague, régulièrement utilisés. Le dictionnaire Larousse le définit comme étant « le moyen de libération psychologique consistant à se détacher du désir de maitrise ». Ceci permet à chacun de se faire une représentation sur le moyen en question, qui peut être une méthode, une pratique, une idéologie… Les lectures sur l’application du ou des moyens pour se détacher du désir de maitrise ne manquent pas.
Le lâcher prise semble être un remède à large spectre des maux de l’excès : travail, stress, addictions en tout genre, ce qui me laisse penser qu’il s’agit d’une illusion à vouloir nous guérir d’une partie de nous-même.
La prise serait celle des éléments déclencheurs de symptômes d’un malaise d’où la nécessité de la lâcher.
Mais concrètement, que devrait-on lâcher ? Une dose d’adrénaline, de caféine, de cocaïne… L’accoudoir de son fauteuil de manager ou la volonté de rester jeune à jamais ?
Il est sans doute aussi difficile de savoir quoi lâcher que comment lâcher. Alors, si on passait à changer prise ?
La peur du vide
Si je te lâche, tu tombes !
Qui, enfant, ne se souvient de cette phrase dans la bouche d’un proche ?
L’adulte d’aujourd’hui peut se demander : et si je lâche prise, est-ce que je vais tomber ?
Si la réponse était négative, alors le lâcher prise serait un moyen facile de se détacher. Il n’en n’est rien, les multiples articles sur le sujet en témoignent. Nous pouvons donc en déduire que nous avons peur de tomber dans un vide psychologique en lâchant prise. C’est sur les fondements de cette peur, réelle ou fantasmée, qu’il convient de s’intéresser.
Le contrôle rassure. En contrôlant nous avons l’impression de pouvoir agir en cas de besoin. Certaines personnes ont la phobie de l’avion car elles remettent leur vie entre les mains du pilote en abandonnant la possibilité de contrôle du vol. Pour d’autres, cette phobie prendra forme dès lors qu’ils s’assiéront sur le siège passager d’une voiture.
Apprendre à abandonner le contrôle c’est apprendre à faire face à l’incertitude et aussi, accepter la finitude de la condition humaine. Dès lors que nous acceptons cette possibilité, se dessine un chemin qui nous emmène vers la confiance.
Je sais que cet avion peut s’écraser et je choisis de m’y installer car j’ai confiance dans les pilotes.
Tout faire pour réussir et se préparer à échouer
Souvent le besoin de contrôle part d’une volonté de réussir. Chacun a ses messages qui le poussent à aller toujours plus loin vers le succès, parfois jusqu’à l’épuisement. Lâcher prise dans ce contexte serait renoncer au succès total pour accepter une part non prévue, c’est à dire, abandonner la croyance que les choses se font telles que nous les pensons. Cela nous ramène à un nécessaire besoin d’humilité qui nous aidera à retrouver le sourire devant la perte de nos illusions.
Sauf à être ascète, le renoncement, l’apologie de la perte, sont difficilement des fins en soi. Imaginons que nous ne soyons qu’énergie, c’est l’effet surtension qui faudrait juguler. Non pas en débranchant la prise mais en trouvant une autre prise, un autre endroit pour investir l’énergie autrement. Ne plus lâcher prise mais changer prise.
Nous acceptons la perte quand elle a un sens qui nous permet de nous remobiliser dans d’autres projets.
Il devient intéressant de prendre du recul quand cela permet une vision plus large sur le monde qui nous entoure. Nous pouvons ainsi tourner la tête et découvrir la joie autrement, l’amour. S’ouvre alors un champ des possibles pour aller de l’avant, avec de nouvelles pratiques, de nouvelles pensées, une nouvelle énergie.
Ce peut être le zen, l’art, le sport. Ni le zen, l’art ou le sport ne peuvent être exclusivement curatifs. C’est l‘amour de la discipline, l’amour de faire qui permet de changer prise.
Il faut aimer pour faire et non faire pour oublier.
Changer devient l’occasion d’être et de faire autrement, pour profiter de la vie en toute simplicité.