Théorie organisationnelle de Berne

Avant-propos

 

Dans son ouvrage « Structure et dynamique des organisations et des groupes »[1], Éric Berne nous offre une lecture systémique des Eric Bernegroupes et des organisations. Ce livre fut publié en 1963 et est le second, après « Analyse transactionnelle et psychothérapie » à présenter la pensée « transactionnaliste » de Berne. L’ouvrage est riche et la démarche,  selon les propos de l’auteur, est scientifique. C’est peut-être la cause du relatif désintérêt que lui a porté le public des analystes transactionnels, davantage intéressé par les aspects cliniques de la théorie. Il est difficile de s’orienter à travers les chapitres qui peuvent manquer de structure pour un essai scientifique ou trop se disperser pour une vulgarisation, ce qui en rend la lecture assez âpre. Pour autant, la profondeur des propos, la présentation des plus petits groupes, famille, groupes de thérapie, aux plus grandes organisations, entreprises, nations, en font un ouvrage de référence encore aujourd’hui.

En 1975, Eliott Fox[1] a publié un article intitulé « La théorie organisationnelle de Berne » où il synthétise une partie des thèmes développés par Berne. On y retrouve les principaux processus relationnels et concepts décrits par Berne dans un tableau : le schéma de Fox. Incompréhensible à la première lecture, Gilles Pellerin s’en est servi pour construire des formations sur le sujet dans les années 80. Il a su découvrir tout l’intérêt de l’article qui présente et ordonne les idées riches mais parfois diffuses de Berne. Sous l’impulsion des formations dispensées par Gilles Pellerin puis reprises par différentes écoles, le nom de « Théorie organisationnelle de Berne » s’est installé en France dans les esprits des praticiens en AT pour représenter, à tort, la théorie de Berne

Le monde est un système, l’humanité en fait partie et, comme toute espèce, elle a développé une organisation qui s’appuie sur  sa spécificité : la parole.  Nous avons des mots pour désigner des choses, qui ne sont pas forcément réelles mais qui nous offrent la possibilité de structurer notre pensée. Des notions comme « frontière », « appareil », et tant d’autres, ont permis à Berne de cartographier la façon dont les organisations humaines se structurent et interagissent. Par exemple, Berne décrit et spécifie les différences entre une foule, un groupe ou une organisation. C’est parce que nous savons les différencier que nous pouvons en faire une analyse fine et adopter des comportements spécifiques et cohérents.

Analyse transactionnelleAvec l’analyse transactionnelle, Berne a créé un langage, son langage. Il peut être parfois déroutant car ce qui est nommé en AT et tout particulièrement dans « Structure et dynamique des organisations et des groupes » ne correspond pas toujours au sens commun. Par exemple, le sens de cohésion dans le contexte de l’AT diffère quelque peu du langage courant. Rappelons également que l’œuvre originale de Berne fut rédigée en anglais et traduite en français avec parfois des différences pour un même mot, en fonction des articles ou des éditions. Berne va donc construire son oeuvre sur ce langage spécifique qui en fait la richesse mais aussi la complexité.

Berne parle d’agrégats sociaux dont les « groupes » et les « organisations » font partie. Ce ne sont pas les seuls, chaque agrégat étant défini par sa structure et sa vocation. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces notions que nous compléterons.

Si Berne s’est intéressé aux groupes, jusqu’à en écrire un livre, c’est avant tout parce que l’analyse transactionnelle avait comme objectif la thérapie en groupe.

Dans sa pratique thérapeutique individuelle, Berne se référait à la psychanalyse. Toute sa vie, Freud restera un modèle important et le fait que Berne ne fut pas admis parmi le « club des psychanalystes » n’y changera rien. Il gardera un canapé dans son cabinet tout au long de sa carrière.

En 1956, le refus du titre de Psychanalyste par l’Institut de Psychanalyse de San Francisco le poussa à développer sa propre approche de la psychothérapie, l’analyse transactionnelle.

Il a élaboré sa pensée et sa théorie en observant ses patients, dans des relations thérapeutiques individuelles. Ce qui fut révolutionnaire à son époque est l’intégration de son travail dans une pratique thérapeutique de groupe. Au début des années 60[3], il y avait peu de théories et de théoriciens pour comprendre et proposer une lecture puis des actions sur les groupes. Berne fut l’un des précurseurs, accompagné par quelques confrères installés sur la côte ouest des USA.

L’analyse transactionnelle proprement dite, c’est-à-dire l’analyse des transactions, les actions sociales verbales et non verbales entre personnes, permettra à Berne l’élaboration d’une méthode complète de psychothérapie de groupe. Ainsi avec le matériel de l’AT, Berne pouvait observer les processus sociaux, les transactions mais aussi les processus intrapsychiques, avec l’analyse structurale des états du moi puis par la suite, les jeux psychologiques et le scénario. Le groupe prend alors toute sa place dans le travail thérapeutique, il devient une caisse de résonnance pour ses membres. C’est un travail thérapeutique de groupe plutôt qu’en groupe.

Berne exerçait la thérapie individuelle à ses cabinets de Carmel et San Francisco et la thérapie de groupe à l’hôpital. Ce fut une aubaine pour observer ce qui se joue dans un groupe plus grand, structuré, autre qu’un groupe de thérapie. L’hôpital devint son laboratoire d’analyse des processus dans une organisation.

Je remercie Éric Berne et lui exprime ma gratitude, à supposer qu’il la perçoive de l’au-delà. Ce que je regrette, et qui bien sûr est indépendant de sa volonté, est qu’il soit mort à 60 ans, laissant derrière lui une œuvre inachevée. De nombreux transacionnalistes ont repris le flambeau en développant les concepts selon leur propre sensibilité et objectifs. Les travaux des plus célèbres d’entre eux se situent principalement dans le champ de la psychothérapie, là où l’AT est née. Je ne connais pas de nouveaux modèles ou d’approches complémentaires à celle de Berne au sujet de la structure et la dynamique des groupes et des organisations. Pourtant, depuis 1963, il s’est passé pas mal de choses…

Théorie organisationnelle de BerneSans dresser un tableau exhaustif, nous pouvons constater que la société de 2020 n’a plus grand-chose à voir avec celle de 1963. Le digital est entré dans notre quotidien, les réseaux sociaux sont des vecteurs puissants des mobilisations sociales. Nous pouvons être tracés au fil de la journée grâce ou à cause de notre téléphone portable. La quantité d’informations sur les serveurs de Wikipedia dépasse largement celles de toutes les encyclopédies réunies, dans toutes les langues. La cybersécurité est devenue un enjeu majeur pour les entreprises face aux cybermenaces, piratage informatique, demande de rançon. De fait, les frontières de l’entreprise sont réelles, matérialisées avec le poste de garde autant que virtuelles.

Bref, le monde a changé, il me paraît intéressant d’avoir un regard complémentaire sur les structures et dynamiques des groupes et des organisations.

[1] Structure et dynamique des organisations et des groupes – Eric Berne -Edition AT

[2] La théorie organisationnelle de Berne- Eliott Fox – AAT 8

[3] L’origine d’une pratique d’analyste de groupe,, Jean-Claude Rouchy, « Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe » N°52.