Après Eric Berne, l’AT continue

Au sein de cette « A.T. classique », les différentes approches sont considérées comme complémentaires et susceptibles d’être combinées en dépit de leur divergences.

José Grégoire – Les orientations récentes de l’analyse transactionnelle

Une école de pensée désigne un ensemble de personnes qui partage des opinions semblables ou un point de vue similaire en philosophie. 

Eric Berne a fait de l’AT une discipline ouverte, dans la mesure où le processus reste éthique et contribue à guérir le patient. Nombre de transactionnalistes ont alors apporté leur singularité en contribuant à son développement.

Aujourd’hui encore, l’AT évolue. Chaque trimestre paraît la revue Actualités en analyse transactionnelle (AAT) en français, et le Transactional Analysis Journal (TAJ), en anglais, qui questionne les pratiques. Chaque analyste transactionnel peut y contribuer en écrivant des articles de fond qui contribueront au développement de l’AT. Les cinq écoles présentées ci-dessous sont extraites d’un article de J. Wilson & I. Karina, publié dans le Classique des ATT n°1.

Symbiose et fanatisme

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Depuis 2017, les théories conspirationnistes fleurissent aux USA et se répandent sur la planète aussi vite que le covid-19. À l’origine, des messages sur le réseau social « 4chan », peu connu du grand public. Ce réseau n’est pas modéré et tout peut être publié. Un certain Q a commencé à écrire des messages complotistes. Il existerait un état profond au sein du Congrès américain qui manipulerait la nation entière. Il serait, entre autres, à la tête d’un réseau de pédophiles, dont Hillary Clinton ferait partie. Plus le propos est délirant, plus il est séduisant. Cela peut paraitre incroyable mais des centaines de milliers de personnes adhèrent à ces histoires. Elles se sont regroupées sous la bannière QAnon, pour Q anonyme ; Q étant le profil sous lequel les messages sont publiés, anonymement. Comme dans tous les contes, il faut un sauveur, un génie, un prince charmant ou une bonne fée. Les adeptes de QAnon ont placé leur foi en la personne de Donald Trump. Lui seul pourra sauver le monde. Le président sortant a bien volontiers accepté le rôle que QAnon lui offrait et c’est ainsi qu’est né un mouvement sectaire. En plus d’être président Trump est devenu gourou avec tout le fanatisme que cela génère. Nous avons pu le constater lors de l’élection de Joe Biden avec le soutien indéfectible par une frange de ses supporters, considérant que l’élection a été manipulée et volée. Fort heureusement, il n’y a pas eu les débordements redoutés. Ce phénomène est comparable aux mouvements extrémistes islamistes. Les partisans de l’idéologie perdent tout discernement pour se suradapter à la parole du Leader Divin. Leurs comportements peuvent alors devenir violents.

En AT, la suradaptation et la violence font partie des comportements passifs qui servent à maintenir la symbiose.

Le concept de symbiose est la base théorique de l’École des Schiff. Jacquie Schiff, au départ, proche d’Éric Berne dans les années 1960, s’est expatriée sur la côte Est des États-Unis pendant quelques années. C’est pendant cette période qu’elle a développé sa théorie qui s’en trouve être en marge du reste de l’AT mais reste très intéressante sous certains aspects. Notamment, pour comprendre le fanatisme.

La symbiose

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Selon les Schiff[1] et leurs collaborateurs, il y a symbiose lorsque deux personnes n’ont pas accès à leurs trois états du moi. Elles se comportent alors comme si, ensemble, elles ne formaient qu’une seule personnalité complète. La caractéristique de cette relation est, qu’aucune d’elles ne met en œuvre la gamme complète de ses états du moi.

C’est par la symbiose que les personnes réitèrent leurs jeux, perpétuent leurs sentiments parasites et font avancer leur scénario.

 

Cette relation est considérée comme normale entre une mère et son bébé et va s’arrêter dès lors que le bébé va prendre conscience de sa propre existence. Quand elle perdure à l’âge adulte, la relation devient malsaine car elle se construit et s’autoalimente avec des jeux psychologiques.

 

la chaine symbiotique

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Dans son article, Quintin Holdeman[1] utilise le concept de chaine symbiotique comme étant un système de fonctionnement dans certaines organisations. De la Boétie[2] aurait nommé cette chaine « système de la servitude volontaire ; un tyran seul n’a de puissance que celle que le peuple lui donne ».

Ce système s’autoalimente par une obéissance inconditionnelle aux directives venues « d’en haut » et en retour, d’abondants signes de reconnaissance à l’égard du chef. Ce qui est une norme socialement acceptable dans une organisation hiérarchisée peut devenir un mouvement sectaire, avec le culte du chef.

Ici le pilier est représenté ici par A. Il dirige et décide de manière autocratique, ce qui installe une dépendance avec l’ensemble des membres de son organisation. Le jour où A quitte l’organisation, le système s’écroule tel un château de cartes. Les membres n’ayant pas eu l’occasion de se prendre en charge et de décider de ce qu’il convient à leur destin. Ils pensent que personne d’autre que A n’est capable de prendre en main la destinée de leur organisation. Parfois le leader A est rappelé tels de Gaulle en 1958, Steve Jobs en 1997, Zidane en 2005 et bien d’autres encore.

La chaine symbiotique triangulaire

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Un système sectaire est plus sophistiqué. Je propose une approche qui repose sur une symbiose triangulaire et tentaculaire : un Leader Divin, un Prédicateur et des Fidèles.

L’initiateur de cette symbiose est le Prédicateur. Il place sa foi dans un leader qu’il divinise. Sa force de conviction lui permet de rassembler autour de lui des adeptes qui vont ensuite essaimer et devenir à leur tour, Prédicateurs. Ainsi, ces mouvements deviennent tentaculaires, à l’image de QAnon. Les religions sont également des exemples de réussite de ce mécanisme.

Le phénomène de divinisation s’observe généralement à la mort du leader. Selon Berne il s’agit d’évhémèrisation, en référence à Evhémère, mythographe de la Grèce Antique qui pensait que les dieux n’étaient autres que des hommes et des femmes divinisés. Les organisations ont souvent un évhémère. Berne étant celui de celui des analystes transactionnels, Freud celui des psychanalystes, Édouard Leclerc celui des supermarchés éponymes…

Le profile Q sur le réseau 4chan, avec ses fake news, annonce de graves délits et prévoit le pire pour les États-Unis puis la terre entière. Il prend le rôle de Prédicateur et en désignant Trump comme sauveur de l’humanité, il lui offre la place de pilier et Leader Divin dans la chaine symbiotique triangulaire. À la différence d’une entreprise, chaque membre d’un tel rassemblement voue une passion au Leader Divin jusqu’au passage à l’acte, dans les cas les plus extrêmes.

Le Fidèle devient alors totalement fanatique et est prêt à se sacrifier pour venger le Leader Divin, l’estimant bafoué. Nous pensons que ce comportement est la manifestation d’une symbiose de second ordre.

La symbiose de second ordre

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Ce niveau de symbiose est plus profond et inaccessible à tout individu sans une aide psychothérapeutique. Il se déroule dans le schéma structural de second ordre. La mère ayant mis à distance ses besoins en excluant son état du moi Enfant, dans la symbiose de premier ordre, le bébé peut ressentir et décider inconsciemment de s’occuper des besoins de maman. Normalement, ce comportement n’a plus d’influence pathologique à l’âge adulte, sauf dans certains cas[3]. Si la croissance du bébé se déroule dans un environnement hostile, tant sur le plan émotionnel que physique, la symbiose de second ordre peut constituer un comportement dominant générant des troubles psychologiques sévères.

Sous l’influence d’un Prédicateur, un Fidèle peut alors basculer dans le terrorisme et assouvir sa soif de vengeance.

[1] A & J Schiff – La passivité – CAAT 2

[2] Holdeman – La chaine symbiotique – AAT 59

[3] De la Boétie – Discours de la servitude volontaire.

[4] Salomon Nasielski – Symbiose de second ordre : retour au concept originel – AAT 142

Une nouvelle expérience de supervision – III

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Auteurs : Stan Madoré et Myriam Chéreau.

Co-supervision et intimité dans un groupe

Troisième partie

Une intimité[1] sans attachement.

Pour que la relation soit de l’ordre de l’intimité entre les deux superviseurs, il est nécessaire qu’ils y  y soient prêts, en conscience de ce que cela signifie. Il s’agit de se montrer, sans far, à son collègue, devant le groupe. Par le silence ou le questionnement, chacun vise à accepter et comprendre les motivations de l’autre, au profit de la personne supervisée. En agissant ainsi, ils montrent la prévenance qu’ils ont l’un pour l’autre, l’acceptation inconditionnelle de ce qui est dit et qui implique une confiance envers l’autre. Les superviseurs s’écoutent, s’ajustent et associent leurs questions. Cela signifie que parfois ils se refrènent à intervenir et doivent gérer leur frustration, dans l’objectif de laisser de l’espace au supervisé. Le contrat entre eux doit être clairement établi.

C’est parce que ce processus est protecteur pour les superviseurs qu’il l’est aussi pour le groupe. En exposant leurs accords, mais aussi leurs interrogations et leur vulnérabilité, les superviseurs construisent un espace contenant et sécurisant où chacun trouve sa place. Chaque membre du groupe, chaque témoin, met en résonance les propos des superviseurs avec son propre vécu. Les émotions des superviseurs jouent un rôle de permission pour les supervisés. Le partage du vécu émotionnel est un apprentissage de l’intimité pour le groupe. Le sentiment de honte, inhibiteur de l’intimité, se trouve alors mis à distance[2].

Intimité et apprentissage

Nous soutenons l’idée que l’apprentissage dans la supervision passe par l’intimité dans le groupe et inversement que l’intimité est en soi un apprentissage.

L’Adulte intégrant conscient et actif dans l’intimité

Ces processus et attitudes sont rendus possibles par l’expansion de l’Adulte intégrant défini par Tudor : « c’est un Etat du moi qui caractérise une personnalité pulsatile, qui intègre des sentiments, attitudes et comportements appropriés à l’ici et maintenant, à tous les âges de la vie, de la conception à la mort ». Cela nous amène à prendre conscience dans le dialogue ou la co-supervision, de nos différences et ressemblances tout en s’abstenant de tout jugement de valeur sur soi, sur l’autre, sur la relation, sur le supervisé. L’Adulte intégrant est sans cesse en évolution et intègre les expériences du présent en continu. Nous pourrions résumer cela par : je suis, tu es, il ou elle est OK (la personne supervisée).

Le dialogue et sa fonction didactique

Habituellement, le superviseur ne partage pas ce qu’il a fait, ni comment il a traité, par exemple, la confusion émotionnelle du supervisé. Cette part de la supervision, comme une terra incognita inexplorée, reste un espace privé de sa propre pensée. Or nous faisons l’hypothèse que mettre au jour ce travail d’élaboration de la pensée du superviseur est très formateur pour le groupe. Loin d’être celui qui sait et gagne du pouvoir sur l’autre dans une position sociale OK+/OK-, le superviseur ose expliquer ce qu’il a fait, pourquoi et comment il pense[3]. Il est dans une posture d’Affirmation de soi (Acey Choy AAT n°61).

Ce processus d’explicitation est un puissant levier d’apprentissage. En dialoguant sur nos interventions, devant le groupe, nous créons les conditions d’une relation Adulte-Adulte entre superviseurs et avec le groupe. Nous démystifions une vision du superviseur tout puissant et sachant en partageant les difficultés rencontrées dans l’accompagnement. La relation Adulte-Adulte avec le groupe s’en trouve simplifiée. Nous instaurons ainsi le principe du « nous », premier pilier de l’AT co-créative.[4]

Quelle que soit la forme de la supervision, conduite par un ou deux superviseurs, les trois personnes ont un rôle actif. La personne supervisée sait qu’il y aura le temps du dialogue qui lui apportera un éclairage sur le processus en place. Si un superviseur observe, il sait qu’il parlera de ce qu’il pense, ressent et comprend de la stratégie de son collègue. De fait, le dialogue est un outil didactique. Au-delà de la relation interpersonnelle, il contribue à clarifier ce qui se passe à un niveau intrapsychique dans une supervision.  Les superviseurs apprennent de leur pratique dans une position meta. Le groupe et le supervisé mettent des mots sur le processus qu’ils ont pu vivre ou observer et découvre l’inévitable contingence, et parfois les impasses, dans les métiers de l’accompagnement. Au-delà de l’apprentissage de l’AT et de sa pratique, c’est un modèle d’intervention que nous proposons au groupe.

Illustrations du dialogue

Dialogue après une supervision conduite par un seul superviseur

Dans ce dialogue, le  superviseur qui a conduit la supervision répond aux questions. Le superviseur-observateur dit ce qu’il a vu, entendu et compris de ses observations.

 Que s’est-il passé pour toi ?

« – J’ai vécu cette supervision comme plutôt technique, centrée sur le processus parallèle que nous vivions au début, dans les premières minutes. Je ressentais le processus parallèle et cela m’agaçait car je me demandais quand y mettre fin. Cette question se posait à moi pour pouvoir passer le contrat de la supervision. Et J’ai pris la décision de laisser du temps au supervisé pour qu’il puisse élaborer sa demande. Cette position OK/OK m’a permis d’être bien centré sur mon ressenti tout en étant en contact avec lui, dans l’instant présent.  Cet agacement a cessé quand j’ai pointé le processus parallèle. Qu’en penses-tu ?

– J’ai compris que ta supervision avait une visée didactique par le fait que tu as explicité le processus parallèle et partagé avec l’autre ton ressenti. C’était puissant et utile d’un point de vue pédagogique. J’ai vu que le supervisé manifestait une grande écoute quand tu lui parlais ainsi, et je l’ai vu plus calme qu’au début de la supervision.

Quelle a été ta stratégie ?

– Je souhaitais que Valentin[5] prenne conscience de ce qui se passait entre nous pour qu’il comprenne ce qui se passe avec son client. C’était ma stratégie.

– En effet, tu l’as aidé à penser par cette prise de conscience avec un Adulte décontaminé.

– Oui, et j’ai utilisé aussi l’opération bernienne de confrontation dans l’Adulte. Là aussi, c’est dans l’objectif que Valentin puisse différencier une confrontation dans l’Adulte et dans le Parent.

– C’est pour ça que j’ai trouvé cette supervision didactique, parce que tu nommais ce que tu faisais et tu donnais des explications sur ce qui était en lien immédiat avec tel ou tel processus.  Tu t’es concentré surtout là-dessus.

En quoi ta supervision, tes choix ont-ils contribué à aider Valentin ?

–  J’ai fait le choix de travailler sur le processus parallèle pour aider le supervisé à conscientiser ce qui se passait entre nous et avec son client. J’ai fait ce choix pour respecter le contrat même si d’autres options étaient possibles. Là aussi, l’objectif est de lui montrer que dans un accompagnement, il y a des choix à faire, donc des renoncements à gérer.

Dialogue avec une supervision conduite par deux superviseurs

Quand la supervision a été conduite par les deux superviseurs, chacun d’eux, dans le dialogue, s’exprime sur les trois questions.

Que s’est-il passé pour chacun de nous ? 

Superviseur A :« – J’ai vu que nous prenions le même chemin avec des moyens différents, toi  en utilisant les Etats du Moi et pour ma part, en l’aidant à différencier le processus du contenu.  Et j’ai trouvé que c’était stimulant. Nous sommes restés attentifs à ne pas perdre Clémentine.

Superviseur B  – Oui, je l’ai vu aussi. J’ai choisi de travailler avec ce qui se passe pour elle en interne, en de ce que dit Pamela Levin sur le pouvoir de penser.

Superviseur A- C’était une bonne idée, « le pouvoir de penser » était éclairant. Le contrat que nous avions pouvait se traiter autant avec une approche psychodynamique qu’interpersonnelle ».

Quelle a été la stratégie ?

Superviseur B  – mon intention a été guidée pas sa première phrase « il faut faire des choix, je vais en faire un, je vais faire un pas de plus vers l’expression de ma pensée ».  Je me suis fait confiance et je t’ai fait confiance quand j’ai vu que nos chemins étaient différents.

Superviseur A – Faire confiance à Clémentine est la stratégie que nous avons suivie avec des moyens différents : moi j’ai abordé les émotions et toi les croyances et les pensées. Certes c’est différent, et complémentaire à la fois.  « Pour faire un pas de plus vers sa pensée », il était nécessaire à mon avis de l’aider à sortir de la confusion émotionnelle.

Superviseur B  – Le travail que nous avons ensuite fait avec lui sur l’impasse d’autorité, a constitué une autre prise de conscience. « Pour aller vers sa pensée », elle a besoin de résoudre l’impasse entre le Parent et l’Enfant et d’activer l’Adulte qui doit être activé dans ses coaching.

Superviseur A- Il est possible qu’il y ait d’autres impasses. Ce n’est plus du domaine de la supervision mais plutôt de la thérapie. Il me semble aussi important de dire que cette forme particulière d’accompagnement qu’est la co-supervision, crée de l’intimité dans le groupe de supervision.

Est-ce que la supervision a contribué à aider la supervisée ?

Superviseur A- Je le pense. Ce processus de différenciation que Clémentine a pu vivre avec les deux superviseurs, loin de la perdre, lui donne des permissions pour coacher à sa manière, avec son style, tout en respectant le contrat.

Superviseur B – Oui, je le crois, au moins en partie. Elle a d’ailleurs verbalisé au moment où elle a voulu poursuivre le travail sur ses émotions. Nous l’avons accompagné dans le cadre de notre rôle de superviseur. Voilà.

Conclusion

Nous avons présenté un nouveau modèle de supervision en groupe. Son originalité repose sur les processus qui favorisent la mise en œuvre de l’intimité.

Voici, au terme de cet article, des témoignages de membres du groupe sur les vertus du dialogue des superviseurs devant le groupe. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés.

Clémentine « En tant que supervisé, je trouve que le dialogue entre les deux superviseurs prolonge et nourrit à un autre niveau ma propre supervision ; cela m’aide à intégrer des concepts pour ma pratique de coach ; votre transparence à dire ce que vous faites dans cette intimité me rassure »

Sylvain « ce qui est la chose la plus importante pour moi c’est la bienveillance entre vous : cela m’inspire de vous voir et de vous entendre parler de ce qui s’est passé pour vous dans la supervision sans se mettre en danger »

Laurent « Selon moi, ce dialogue dans lequel vous dévoilez votre stratégie favorise mon autonomie. Il m’invite à me questionner sur ma propre stratégie dans mes accompagnements.

Lucie « En montrant votre Vulnérabilité au sens de Choy dans le triangle gagnant, c’est décontaminant car cela fait tomber des préjugés du Parent et des illusions de l’Enfant. C’est donc une posture vraiment Adulte que je peux modéliser. Je fais sans doute moins de projections et de grandiosités grâce à ce processus qui pour moi est une démarche d’apprentissage. »

Élise « Avant d’intégrer le groupe de supervision, je me disais en tant que coach, il faut que je sache ; et puis je vous entends dire : «  là, je ne sais pas ».   Et bien je me reconnais et ce processus donc me donne la permission de ne pas savoir, de prendre conscience que je ne sais pas et de faire avec ! Du coup en vous faisant confiance même si vous ne savez pas, je me fais confiance aussi. Et je peux davantage partager ce que je vis dans ma supervision avec vous. Je me reconnais votre égal ».

Valentin « Oui et ce qu’on partage, c’est l’analyse transactionnelle aussi bien dans les contenus que dans ce processus innovant de coanimation et d’intimité.

[1] Trudi Newton et Hilary Cochrane  –  supervision for coaches, a guide to thoughtful work, 2011

[2] Valérie Perret – La honte, fléau de la supervision  – AAT 158

[3] Acey Choy – Le triangle du gagnant – AAT 61

[4] Tudor et Summers- une analyse transactionnelle co -créative-AAT n°100

[5] Tous les prénoms ont été modifiés

Discerner ce que je crois de ce qui est


Image du petit chaperon rougeLa mise à distance des vérités anciennes permet l’éclat des nouvelles.

Sylvie est responsable d’un service de 7 personnes dans une collectivité de 350 personnes. Elle a des difficultés relationnelles avec une collaboratrice, Pascale, qui ne manque pas de la dévaloriser dès qu’elle en a l’occasion. Sylvie souffre de cette situation car elle est d’un naturel aimable, convivial et elle déteste les conflits. La situation devenant intenable, Sylvie s’est résolue à avoir un entretien de recadrage avec Pascale dont l’aboutissement a partiellement apaisé les tensions. Pascale a pris en compte les remarques de Sylvie mais a aussi fait savoir, à qui voulait l’entendre, que Sylvie pratiquait un management musclé, vraisemblablement en application d’un coaching.

Quand cette nième tentative de déstabilisation est revenue à ses oreilles, Sylvie s’est sentie désemparée, ne sachant plus quoi faire et surtout avec une très forte anxiété sur l’image qu’elle pouvait donner auprès de tous les agents de la collectivité.  Allait-elle encore avoir ce crédit de sympathie qui lui était accordé, jusqu’à lors, par à peu près tout le  personnel ?

Manager s’est s’exposer. Parmi différents rôles du manager, Mintzberg cite celui de « figure de proue[1] ». Sous le soleil, cette position peut être agréable mais en pleine tempête, le manager doit être prêt à recevoir la première vague en pleine face. C’est froid, mouillé, salé… désagréable. Dans le cas exposé, Sylvie reçoit à peine un peu d’embrun comme dans ces attractions où il est présenté un film en 3D, qui s’accompagne de mouvements de siège, souffles et gouttelettes pour augmenter le frisson lié à l’image. A la fin du spectacle, vous êtes un peu secoué mais vous savez que ce que vous avez vécu, comme la démonstration d’un tsunami, tremblement de terre ou autres catastrophes, n’a rien à voir avec ce qui serait vécu  dans la réalité.

Quelle est cette crainte qu’exprime Sylvie ? Ce sont ces projections, qui viennent d’un passé proche ou lointain, qui l’empêchent de discerner la situation réelle de ses représentations.

« Ce qui tourmente les hommes ce n’est pas la réalité mais les opinions qu’ils s’en font[2] ».

A ce moment, deux options s’offrent à Sylvie :
Elle peut accepter de passer pour ce qu’elle n’est pas à savoir un manager rude. Son travail serait alors de se blinder contre les critiques, ce qu’elle craint par dessus tout.
Elle peut aussi prendre du recul sur ses vielles croyances et regarder la réalité avec plus d’objectivité. Cesser de confondre le présent et le passé.

Nous nous sommes arrêtés sur la deuxième option. Ce travail consiste à développer l’autonomie, au sens où Berne[3] la décrit et plus particulièrement, « la conscience  claire ». Il s’agit de voir une cafetière telle qu’elle est et non une machine qui sert à faire le café ou d’écouter le chant des oiseaux de sa propre manière, sans l’influence du parent ornithologue. Dans une certaine mesure, cette notion peut rappeler  la « pleine conscience » (mindfulness), une des pratiques de la méditation bouddhiste qui vise à se concentrer sur ce qui est, dans l’instant présent.

L’analyse transactionnelle[4] propose plusieurs approches pour accompagner une personne à se situer dans le présent. Ici nous avons utilisé le concept de décontamination de l’état du moi Adulte, celui de l’ « ici et maintenant », qui différencie le passé du présent. Berne a mis en place un protocole en 8 opérations[5]. Nous avons travaillé plus simplement, à partir d’une représentation graphique qui a pu montrer à Sylvie qui sont les personnes qui comptent pour elle, comment elles peuvent recevoir ces ragots et qui sont les personnes qui pourraient les prendre en considération.

contaminations

[1] Henry Mintzberg – Le management voyage au centre des organisations
[2] Epictète – Le manuel
[3] Eric Berne – Des jeux et des hommes
[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_transactionnelle
[5] Eric Berne – Principes de traitement psychothérapeutique en groupe

Théorie organisationnelle de Berne, extension du 21° siècle

Théorie organisationnelle de Berne

Avant-propos

 

Dans son ouvrage « Structure et dynamique des organisations et des groupes »[1], Éric Berne nous offre une lecture systémique des Eric Bernegroupes et des organisations. Ce livre fut publié en 1963 et est le second, après « Analyse transactionnelle et psychothérapie » à présenter la pensée « transactionnaliste » de Berne. L’ouvrage est riche et la démarche,  selon les propos de l’auteur, est scientifique. C’est peut-être la cause du relatif désintérêt que lui a porté le public des analystes transactionnels, davantage intéressé par les aspects cliniques de la théorie. Il est difficile de s’orienter à travers les chapitres qui peuvent manquer de structure pour un essai scientifique ou trop se disperser pour une vulgarisation, ce qui en rend la lecture assez âpre. Pour autant, la profondeur des propos, la présentation des plus petits groupes, famille, groupes de thérapie, aux plus grandes organisations, entreprises, nations, en font un ouvrage de référence encore aujourd’hui.

En 1975, Eliott Fox[1] a publié un article intitulé « La théorie organisationnelle de Berne » où il synthétise une partie des thèmes développés par Berne. On y retrouve les principaux processus relationnels et concepts décrits par Berne dans un tableau : le schéma de Fox. Incompréhensible à la première lecture, Gilles Pellerin s’en est servi pour construire des formations sur le sujet dans les années 80. Il a su découvrir tout l’intérêt de l’article qui présente et ordonne les idées riches mais parfois diffuses de Berne. Sous l’impulsion des formations dispensées par Gilles Pellerin puis reprises par différentes écoles, le nom de « Théorie organisationnelle de Berne » s’est installé en France dans les esprits des praticiens en AT pour représenter, à tort, la théorie de Berne

Le monde est un système, l’humanité en fait partie et, comme toute espèce, elle a développé une organisation qui s’appuie sur  sa spécificité : la parole.  Nous avons des mots pour désigner des choses, qui ne sont pas forcément réelles mais qui nous offrent la possibilité de structurer notre pensée. Des notions comme « frontière », « appareil », et tant d’autres, ont permis à Berne de cartographier la façon dont les organisations humaines se structurent et interagissent. Par exemple, Berne décrit et spécifie les différences entre une foule, un groupe ou une organisation. C’est parce que nous savons les différencier que nous pouvons en faire une analyse fine et adopter des comportements spécifiques et cohérents.

Analyse transactionnelleAvec l’analyse transactionnelle, Berne a créé un langage, son langage. Il peut être parfois déroutant car ce qui est nommé en AT et tout particulièrement dans « Structure et dynamique des organisations et des groupes » ne correspond pas toujours au sens commun. Par exemple, le sens de cohésion dans le contexte de l’AT diffère quelque peu du langage courant. Rappelons également que l’œuvre originale de Berne fut rédigée en anglais et traduite en français avec parfois des différences pour un même mot, en fonction des articles ou des éditions. Berne va donc construire son oeuvre sur ce langage spécifique qui en fait la richesse mais aussi la complexité.

Berne parle d’agrégats sociaux dont les « groupes » et les « organisations » font partie. Ce ne sont pas les seuls, chaque agrégat étant défini par sa structure et sa vocation. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces notions que nous compléterons.

Si Berne s’est intéressé aux groupes, jusqu’à en écrire un livre, c’est avant tout parce que l’analyse transactionnelle avait comme objectif la thérapie en groupe.

Dans sa pratique thérapeutique individuelle, Berne se référait à la psychanalyse. Toute sa vie, Freud restera un modèle important et le fait que Berne ne fut pas admis parmi le « club des psychanalystes » n’y changera rien. Il gardera un canapé dans son cabinet tout au long de sa carrière.

En 1956, le refus du titre de Psychanalyste par l’Institut de Psychanalyse de San Francisco le poussa à développer sa propre approche de la psychothérapie, l’analyse transactionnelle.

Il a élaboré sa pensée et sa théorie en observant ses patients, dans des relations thérapeutiques individuelles. Ce qui fut révolutionnaire à son époque est l’intégration de son travail dans une pratique thérapeutique de groupe. Au début des années 60[3], il y avait peu de théories et de théoriciens pour comprendre et proposer une lecture puis des actions sur les groupes. Berne fut l’un des précurseurs, accompagné par quelques confrères installés sur la côte ouest des USA.

L’analyse transactionnelle proprement dite, c’est-à-dire l’analyse des transactions, les actions sociales verbales et non verbales entre personnes, permettra à Berne l’élaboration d’une méthode complète de psychothérapie de groupe. Ainsi avec le matériel de l’AT, Berne pouvait observer les processus sociaux, les transactions mais aussi les processus intrapsychiques, avec l’analyse structurale des états du moi puis par la suite, les jeux psychologiques et le scénario. Le groupe prend alors toute sa place dans le travail thérapeutique, il devient une caisse de résonnance pour ses membres. C’est un travail thérapeutique de groupe plutôt qu’en groupe.

Berne exerçait la thérapie individuelle à ses cabinets de Carmel et San Francisco et la thérapie de groupe à l’hôpital. Ce fut une aubaine pour observer ce qui se joue dans un groupe plus grand, structuré, autre qu’un groupe de thérapie. L’hôpital devint son laboratoire d’analyse des processus dans une organisation.

Je remercie Éric Berne et lui exprime ma gratitude, à supposer qu’il la perçoive de l’au-delà. Ce que je regrette, et qui bien sûr est indépendant de sa volonté, est qu’il soit mort à 60 ans, laissant derrière lui une œuvre inachevée. De nombreux transacionnalistes ont repris le flambeau en développant les concepts selon leur propre sensibilité et objectifs. Les travaux des plus célèbres d’entre eux se situent principalement dans le champ de la psychothérapie, là où l’AT est née. Je ne connais pas de nouveaux modèles ou d’approches complémentaires à celle de Berne au sujet de la structure et la dynamique des groupes et des organisations. Pourtant, depuis 1963, il s’est passé pas mal de choses…

Théorie organisationnelle de BerneSans dresser un tableau exhaustif, nous pouvons constater que la société de 2020 n’a plus grand-chose à voir avec celle de 1963. Le digital est entré dans notre quotidien, les réseaux sociaux sont des vecteurs puissants des mobilisations sociales. Nous pouvons être tracés au fil de la journée grâce ou à cause de notre téléphone portable. La quantité d’informations sur les serveurs de Wikipedia dépasse largement celles de toutes les encyclopédies réunies, dans toutes les langues. La cybersécurité est devenue un enjeu majeur pour les entreprises face aux cybermenaces, piratage informatique, demande de rançon. De fait, les frontières de l’entreprise sont réelles, matérialisées avec le poste de garde autant que virtuelles.

Bref, le monde a changé, il me paraît intéressant d’avoir un regard complémentaire sur les structures et dynamiques des groupes et des organisations.

[1] Structure et dynamique des organisations et des groupes – Eric Berne -Edition AT

[2] La théorie organisationnelle de Berne- Eliott Fox – AAT 8

[3] L’origine d’une pratique d’analyste de groupe,, Jean-Claude Rouchy, « Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe » N°52.

Est-ce que je peux aller sur le champ personnel ?

bullesVoici une question qui revient souvent dans les formations au management : est-ce que je peux aller sur le champ personnel ?

 Quand cette question pose-t-elle un problème ?

Il est intéressant de constater qu’au retour de vacances, un manager pourra interroger son collaborateur sur la qualité du voyage effectué, de l’hôtellerie ou simplement lui demander comment se sont passées les vacances.

La structuration du temps[1], un des concepts de l’analyse transactionnelle, nous éclaire sur la nature des échanges et de ce qu’ils apportent en terme d’implication relationnelle.

 Le rituel : « Bonjour comment allez-vous ? »

Ce sont les premiers mots en arrivant au travail. Généralement la réponse est : « bien merci et vous ? » Ce type d’échange est stéréotypé et peu impliquant pour les personnes.

Le passe-temps : C’est ici que l’on parle des vacances, du match de foot ou du petit dernier. L’échange se fait à un niveau personnel, ouvert, dans la mesure où les sujets ne sont pas connus à l’avance et ne sont pas efficaces au regard des missions à effectuer dans son travail.

 L’activité : les échanges sont techniques et portent sur la réalisation du travail. On parle de l’avancée du projet, du prix des matières premières ou du plan d’actions stratégiques. Ces échanges sont impersonnels.

Les 2 modes de structuration du temps suivants sont beaucoup plus impliquants. Il s’agit des jeux psychologiques et de la proximité. C’est ici qu’il peut y avoir une appréhension dans la relation.

 La proximité [2]: C’est le moment où se disent les choses personnelles. Encore faut-il être en confiance, ne pas craindre une éventuelle exploitation de ce qui est dit. Cette sécurité permettra de raconter ses meilleurs mots et meilleurs maux. A ce stade, il y a une coopération forte entre les individus.

 Les jeux psychologiques : A l’opposé de la proximité, les jeux psychologiques se jouent aussi sur le terrain personnel et sont beaucoup plus désagréables à vivre. A un niveau élevé, ils paralysent l’activité.

 Poser un cadre protecteur

Derrière la demande de permission (puis-je aller sur le champ personnel), se cache celle de la protection.

Si un collaborateur n’assume plus sa mission, le manager a la responsabilité d’aller voir ce qui se passe pour comprendre et, si possible, résoudre le problème. Il ne s’agit pas d’être intrusif mais attentif. Poser des questions en se mettant en situation de soutien permettra au collaborateur de prendre ou de laisser la main tendue. C’est bien le collaborateur qui accepte, ou pas, d’apporter des éléments explicatifs personnels à un problème professionnel. Le manager questionne, écoute, propose de l’aide dans la limite de ses compétences professionnelles, ce qui peut se traduire par : un aménagement des missions, de l’organisation du travail, des délais… Il ne va pas essayer de traiter le problème personnel.

 La conscience et la mise en place de ce cadre protecteur permettra au manager de surmonter la peur de se laisser aspirer par les jeux psychologiques, en endossant un rôle de Sauveteur[3] faisant face à une Victime.

[1] Raymond Hostie : Le compas, nouvel outil de synthèse et d’analyse des soifs – Classique des AAT n°1

[2] Le terme exact est « intimité ». En entreprise, je préfère parler de proximité.

[3] Pour aller plus loin sur la théorie des jeux psychologiques : www.analysetransactionnelle.fr

Les écoles récentes en AT

Le monde évolue et l’AT aussi. Le premier cercle des proches d’Eric Berne ayant montré la voie, d’autres analystes transactionnels leur ont emboité le pas en intégrant leur pratique à la théorie. L’AT continue donc à se développer. José Grégoire, dans son livre Les orientations récentes de l’analyse transactionnelle, a recensé plusieurs écoles, à noter que tous ces théoriciens sont du champ Psychothérapie . Citons ici ces nouvelles écoles.

  • L’analyse transactionnelle psychanalytique, de Carlo Moïso et Michele Novellino ;
  • La psychothérapie intégrative, de Richard Erskine et Rebecca Trautmann ;
  • L’analyse transactionnelle relationelle, de Charlotte Sills et Helena Hargaden ;
  • L’approche corporelle relationnelle, de Bill Cornell ;
  • L’analyse transactionnelle co-créative, de Graeme Summers et Keith Tudor ;
  •  L’approche narrativiste, de Jim et Barbara Allen.

 

Question

Quel lien entre l'AT et d'autres approches psychothérapeutiques ?

On connaît l’attachement de Berne à la psychanalyse et à son fondateur Sigmund Freud. Jusqu’à la fin de sa vie Berne est resté un grand admirateur de Freud même si sa pratique l’a amené à développer l’AT, mettant ainsi de la distance avec la psychanalyse. Le divan est resté présent dans sa salle de consultation.

Les années 60 ont vu aussi se développer l’école de Palo Alto, à quelques kilomètres de Carmel. Eric Berne était l’ami de Grégory Bateson, le fondateur de l’école. Il était également l’ami de Fritz Perls, qui s’est aussi éloigné de la psychanalyse pour créer la Gestalt thérapie. Notons enfin plusieurs référence dans l’œuvre de Berne à Alfred Korzybski, inventeur de la sémantique générale, dont le but était de montrer l’influence du langage dans les comportements. Quelques années plus tard la PNL exploitera l’idée que la carte n’est pas le territoire.