1ACEBE60Tous les acteurs de l’entreprise, à tous les niveaux, s’accordent à reconnaître le courage comme une des principales vertus du management. Nous pourrions penser que nous tenons enfin un sujet qui met tout le monde d’accord et qu’il n’y a plus rien à en dire. Il n’en est rien. Si nous pouvons en écrire une définition, son application et ses représentations sont multiples donc sources de discussions, voire de polémiques.

Le courage, une vertu multiple

La légende antique raconte que Philippides, messager grec, aurait couru, de Marathon à Athènes, soit environ 42 Km. Arrivé sur l’agora, il annonça la victoire sur les perses et mourut. Etait-il courageux ? Sans doute, puisqu’il a dû surmonter sa fatigue, aller au-delà de l’épuisement jusqu’à trouver la mort dans un dernier effort.

Un homme saute dans une rivière pour sauver un inconnu de la noyade. Est-il courageux ? Sans doute, il fait face au danger, surmonte sa peur de mourir et plonge.

Voici deux exemples où le courage s’exprime sur des actions de nature totalement différente. Le courage est une vertu multiple qui trouve un point d’ancrage dans la capacité de chacun à faire face à l’adversité. Voici une vertu pour le moins complexe dont la disposition varie en fonction des personnes. Généralement, à quoi devons-nous faire face pour être des êtres courageux ?

La fatigue, l’effort, la douleur, la souffrance, le danger, le risque, la séparation, la maladie, la mort. Pour être courageux, il faut d’abord être en situation de vulnérabilité. La valeur de l’épreuve serait proportionnelle à l’émotion provoquée et le courage reconnu qu’à partir d’un certain seuil.

Dans certains cas, faire face est une première étape, nécessaire, qu’il faudra dépasser. C’est le cas de la fatigue ou de la peur, présentes dans les deux exemples cités plus haut.

Aujourd’hui les meilleurs athlètes courent le marathon en un peu plus de deux heures. Sont-ils courageux ? Sans dénigrer la performance, ils sont surtout très bien entrainés. D’ailleurs, plus aucun ne meure à l’arrivée !

Imaginons qu’un maitre nageur voit un enfant se noyer dans une piscine. Il va immédiatement sauter et le récupérer. Ce sera un excellent professionnel qui aura fait preuve de vigilance. Peut-on dire qu’il soit courageux ? Il n’a pas eu peur pour sa vie, à mon sens il est plus compétent que courageux.

S‘agissant de la maladie ou de la mort, les surmonter n’a aucun sens. Nous ne pouvons que subir les effets sur notre corps. Le courage se traduit par l’acceptation.

L’accompagnement d’un proche dans la maladie est davantage une question d’amour et de gratitude. Quant à l’acceptation de sa perte, surmonter la souffrance induite, ou pas, est l’affaire du deuil.

Le courage, une vertu plastique

Patrick, DRH d’une PME, dont la valeur principale est l’humanisme, doit annoncer l’externalisation du service comptabilité ce qui signifie 5 personnes au chômage.

Pour les salariés concernés, Patrick fait son sale boulot de DRH avec cynisme. L’épouse de Patrick, qui le voit contrarié, sait qu’il doit faire preuve de courage pour annoncer cette triste nouvelle.

Patrick lui-même, sait que l’annonce des mauvaises nouvelles fait partie de son travail. Néanmoins, il doit surmonter son malaise avec courage.

Mais si Patrick refuse de faire le job et présente sa démission, est-il courageux ? Pour certains, il le sera alors que d’autres le trouveront inconsistant.

Le courage est plastique. Dans un même contexte, pour une même action, accepter ou refuser, faire ou ne pas faire, avancer ou reculer nécessitent du courage.

Le courage dépend de l’endroit où l’on se place.

En occident, nous condamnons massivement le terrorisme. Ces actes sont ignobles et lâches. Parmi les endoctrinés, celui qui se fait explosé sur un marché est considéré comme un brave, un courageux élevé au rang de martyr.

Cet exemple, de part ses extrêmes différences d’appréciation, nous montre à quel point le courage est une question de culture et donc de point de vue.

Dans une moindre mesure (fort heureusement) nous retrouvons cette variété en entreprise. La direction a une représentation du courage chez un manager qui, sur certains points, diffère de celle des salariés ou des syndicats.

Le courage du manager

Les murs de l’entreprise rétrécissent les caractéristiques de la vertu. Un manager qui s’investit dans son travail, arrive le premier et part le dernier quotidiennement, est-il reconnu comme courageux ? Certainement pas, au contraire, il prend le risque de se voir étiqueté « travaillo-dépendant », drogué du travail. Pas plus qu’en arrivant à 10h00 et en partant à 16h00 où il sera catalogué de paresseux. L’endurance à la tâche est importante et déconnectée du courage. Le manager devrait travailler plus que les collaborateurs, sans trop, et sans en attendre de reconnaissance particulière. Cela fait partie de ses fonctions, dans les représentations collectives.

Du point de vue de l’entourage professionnel

Ce qui est attendu du manager courageux est qu’il se mette en danger, quand c’est nécessaire, pour protéger les autres.

Il devra faire face aux caméras de télévision et reconnaître ses erreurs pour protéger l’entreprise.

Il devra faire face à la direction et défendre les intérêts de ses collaborateurs. Il devra faire face aux salariés et défendre les décisions de la direction.

Il prendra des initiatives pour améliorer le fonctionnement de son équipe, de son entreprise, il prendra des risques mesurés.

Il reconnaitra ses échecs quand les risques s’avèrent infructueux et changera de cap.

Il est donc constant dans une action où le changement est permanent.

De quoi devenir schizophrène.

Etre sujet

Plutôt que de tenir compte de son environnement, dont les attentes sont parfois à l’opposé les unes des autres, je crois que c’est d’abord à lui-même qu’il doit faire face.

A-t-il conscience de l’exigence de sa fonction ? Des tâches les plus nobles aux plus ingrates. Est-il prêt à assumer ses missions ?

Voici à mon sens les questions de départ qu’une personne devrait se poser dès lors qu’elle est sollicitée pour prendre un poste de manager. Pour beaucoup, l’accession à un rôle d’encadrement est une gratification. Elle vient nourrir l’amour propre et est difficile à refuser. C’est donc à la direction d’être claire sur ses attentes lorsqu’elle propose le poste.

La personne pressentie aura alors le loisir d’accepter ou de refuser ce qui sera un acte courageux.

Etre sujet dans sa fonction de manager, c’est donner de la cohérence à ses pensées, ses convictions et ses actes. A ce titre, le manager devra abandonner l’idée de plaire à tous. Le manager courageux n’est pas un séducteur et à l’image de Churchill, il peut promettre « du sang, de la peine, des larmes et de la sueur » si la situation l’impose.

Il devra prendre des décisions, les meilleures ou les « moins pires », il devra faire des choix et donc renoncer.

Enfin, il devra assumer le résultat de ses actes notamment quand ils conduiront à l’échec. Là, son courage sera à la hauteur de sa résilience.

En conclusion, le manager courageux n’est pas forcément charismatique, il peut être le travailleur de l’ombre. Il a des convictions qu’il défend dans l’intérêt du bien commun et a donc quelque peu renoncé à son amour propre.